Chalureau et les Bleus black-blanc-beur
Romain Amalric -
Journaliste
Journaliste depuis 20 ans, je suis homme de terrain de Canal+ sur le Top 14 et la ProD2 et correspondant pour Radio France

A quelques jours du coup d’envoi de l’événement que les Bleus attendent depuis des années, une affaire extra-sportive perturbe la préparation de l’équipe de France, réussissant même à diviser la famille rugby à l’heure où l’unité nationale est appelée. Un vrai paradoxe français. Edito.

« C’était trop beau jusqu’à présent. Tout se passait trop bien. Ça ne pouvait pas durer ». Les propos d’Emile Ntamack dans son entretien au 10 Sport résonnent dans le contexte du moment. Il y a quelques semaines de ça, en effet, le XV de France naviguait dans une mer calme avec un groupe au complet et des voyants verts sur tous les tableaux. Rien de semblait ébranler la sérénité ambiante. Il y avait encore Baille, Ntamack et Willemse. Il y avait une atmosphère « de travail et de camaraderie » comme se régalait de le préciser Philippe Sella avec admiration. Ça sentait bon. Et cela décuplait notre impatience. Aujourd’hui, à quelques heures d’entrer de plein pied dans cette Coupe du monde et de défier les All Blacks, l’actualité des Bleus est polluée par des considérations très éloignées de l’aspect technico-tactique. La faute, un peu, à l’hécatombe de blessés qui met à mal le statut de favori que l’équipe de France s’était construit peu à peu depuis trois ans. La faute, surtout, à cette affaire « Chalureau », revenue comme un boomerang à la fin d’un entraînement, à l’initiative de députés opportunistes. On imagine alors le séisme dans les têtes de Fabien Galthié et Raphaël Ibanez, qui ont mis tout ce qu’il a de moyen et de cœur pour préparer cette équipe à l’échéance mondiale. Des écueils avaient été annoncés, anticipés. Mais pas autant. Pas celui-là.

Une pensée pour les victimes ?

Remarquez cette affaire Chalureau qui vire à la bouffonnerie. Des larmes annoncées, des excuses à peine prononcées, des tacles assassins au sein même de la famille rugby… Félicitations, donc, à messieurs Portes et Piquemal, représentants du peuple, qui par le jeu d’une récupération politique bien sentie ont réussi à ébranler et diviser la famille de l’ovalie. Si près du Mondial, c’est le coup médiatique parfait. Peut-être ont-ils juste oublié les autres principaux protagonistes de l’affaire : les victimes. Au même titre que Bastien Chalureau d’ailleurs, qui n’a pas eu la décence d’avoir une pensée pour elles lors de son passage devant la presse. Ont-elles eu envie, elles, que l’affaire ressorte à la Une de l’actualité ? Leur a-t-on demandé si elles étaient favorables, dans le timing que l’on connaît, que cette histoire, dont la justice n’a pas encore rendu son verdict définitif, soit remis au centre des débats, au milieu du groupe France, à quelques jours du match France – All Blacks ? Des victimes qui, rappelons-le, sont elles-mêmes des anciens joueurs de rugby, des membres de la famille ovalie, et donc des supporters de l’équipe de France. Même pour elles, le timing n’est pas bon. Pour preuve, leur silence dans les médias.

Des Bleus black-blanc-beur

Ainsi, dix mois après sa première sélection en Bleu, la vox populi s’insurge désormais de la présence de Bastien Chalureau en équipe de France. Mérite-t-il, oui ou non, de porter le maillot frappé du coq ? Dans ce cas, la moralité vaut-elle plus que la justice ? On a trouvé le prochain sujet de philo pour les Terminales. Et puisqu’il est question de racisme, prenons pour constat que parmi les fameuses valeurs scandées dans le mode du rugby, il y a encore quelques points à améliorer. Le racisme en fait partie, au même titre que l’homophobie. Puis, regardons de près cette équipe de France black-blanc-beur qui s’apprête à défier le monde et inonder nos écrans. Cette même équipe qui, si elle gagne, sera érigée au rang de modèle, comme un reflet de ce qu’est aujourd’hui la société française. Regardons de plus près les Fickou, Danty, Wardi, Camara, Ramos, Dupont et Flament. Regardons ces jeunes de banlieues qui cohabitent avec les gamins de la campagne, les Parisiens avec les Provinciaux, les Blancs, les Blacks, les Arabes et les Polynésiens. Regardons de plus près ces Bleus. C’est aussi ça, la France du rugby. Y-a-t-il un politique pour nous le dire ?

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