Enquête : Luzenac, 10 ans après le scandale
Jean de Teyssière

Dix ans après la non-accession en Ligue 2, les principaux artisans de l’épopée vécue par Luzenac, petit club de l’Ariège qui a créé la sensation lors de la saison 2013-2014, ont accepté de se raconter. S’ils ont pris des chemins différents, avec plus ou moins de succès, tous ont gardé contact et sont liés à vie.

« Le club de Luzenac n’est pas autorisé à participer au championnat de France de Ligue 2 pour la saison 2014/2015. » Cette phrase, publiée dans la décision du conseil d’administration de la Ligue de Football Professionnelle (LFP) le 27 août 2014, tombe comme un couperet sur le petit club d’un village de 500 habitants, au fin fond de l’Ariège. Elle sonne aussi la fin d’une aventure humaine exceptionnelle pour tous ces joueurs qui ont vu leur rêve de jouer dans le monde professionnel s’écrouler en un instant. « Je préfère laisser cette mésaventure derrière moi. J'espère que vous comprendrez », confie Franck Akaza, 46 ans aujourd’hui.

Pérenniser le club en… CFA

L’histoire était pourtant belle pour ce milieu de terrain arrivé à Luzenac en 2001. À 36 ans, Akaza avait fait toute sa carrière dans le monde amateur et devait signer le premier contrat professionnel de sa carrière. Inespéré. « Lorsqu’on monte, je lui fais un contrat, pour le remercier de tout ce qu’il a fait pour Luzenac, confesse Jérôme Ducros, alors président du club. Après son contrat de deux ans, il serait resté dans le staff tellement il était important. »
Le club ariégeois a réussi à grandir en à peine dix ans, porté par la nomination de Christophe Pélissier en 2007. Le Luzenac Ariège Pyrénées (LAP) se stabilise enfin. « Luzenac me contacte en me disant qu’ils veulent pérenniser le club en CFA (N2), raconte l’actuel entraîneur de l’AJ Auxerre. À l’époque, hormis le Toulouse Football Club, c’est le club de la région qui évolue au meilleur niveau donc je relève ce challenge. » Mission réussie. En 2009, après un exercice mémorable au cours duquel Luzenac termine champion de CFA, le club accède pour la première fois de son histoire au championnat de National. « On bat tout le monde. C’est ma plus belle montée. Elle est incroyable, inattendue… », estime Jérôme Hergault, défenseur de Luzenac, passé depuis par le Red Star, l’AC Ajaccio ou encore le FC Lorient. Puis, après cinq années en National, vient la montée en Ligue 2.

Une ascension vertigineuse, avant la chute brutale

Mais le rêve est de courte durée. La sanction de la LFP tombe fin août 2014 et le club, au lieu de monter en Ligue 2, descend dans les abysses du football français en intégrant le niveau R3. Fin de l’histoire. Tous les joueurs sont libérés. Au milieu d’un engrenage judiciaire (voir par ailleurs), seuls Sébastien Mignotte et Assan Karaboulay restent. Mignotte, qui était dans le staff de Christophe Pélissier l’année de la montée, devait y rester en tant que responsable vidéo, tout en prenant la tête de l’équipe réserve. Karaboualy devait être le capitaine de l’équipe réserve mais les circonstances les ont menés à la tête du club, l’équipe réserve devenant l’équipe première. Mignotte doit finalement reprendre un travail à plein temps (il est ingénieur) et tente de redresser son club de cœur : « Je me suis lancé dans une aventure un peu folle. Il n’y avait plus de joueur, je n’avais pas de gardien cinq jours avant le début du championnat. Il n’y avait plus d’argent, plus rien. » Touché par la décision de la LFP, Assan Karaboualy annonce avoir eu « des possibilités d’aller dans d’autres clubs de National. Mais j’ai voulu rester à Luzenac car je n’avais pas envie de me prendre la tête. »

La fin d’un rêve

D’autres destins que celui de Franck Akaza se brisent en un instant. C’est le cas d’Issa Makalou. Défenseur central de métier, il arrive à Luzenac en 2009, lorsque le club monte en National. Proche d’Assan Karaboualy, avec qui il a joué sur les terrains d’Île-de-France, puis au centre de formation du Toulouse FC, son intégration se fait en quelques jours. Il restera cinq ans dans le club ariégeois, avant d’être libéré suite à la rétrogradation en R3. « Quand ça a pris fin, je n’ai même pas eu le temps de gamberger car j’ai subi la chose. Il faut rebondir, je n’avais pas le temps de pleurnicher sur mon sort. » Il rejoindra Amiens, en National, et retrouvera un mois plus tard Christophe Pélissier. « Un regret de ne pas avoir pu jouer en Ligue 2 ? Non. Une carrière ça peut aller très vite dans les deux sens », raconte celui qui avait connu une désillusion en 2007. Alors âgé de 20 ans et pensionnaire du centre de formation du Toulouse FC, l’entraîneur toulousain, Élie Baup, décide de lui offrir ses premières minutes en tant que professionnel au Parc des Princes, lorsque le club occitan mène 2-0. Mais un but de Pauleta l’empêche de goûter à la Ligue 1, puisqu’il doit se rasseoir sur le banc. Deux évènements, qui l’empêcheront à tout jamais d’accéder au rêve de devenir professionnel. « Il y a des décisions dans la vie qui font mal. Mais j'ai de la chance, je relativise bien. »

« Trois-quatre ans plus tard, j’ai explosé »

Sébastien Mignotte, lui, n’aurait de toute façon pas joué en Ligue 2, puisqu’il avait pris sa retraite mais devait tout de même faire partie du staff dans l’antichambre de la Ligue 1. En prenant la tête de l’équipe première de Luzenac après la rétrogradation, Mignotte se brûle les ailes : « Je l’ai payé plus tard, trois-quatre ans plus tard. J’ai explosé. J’ai enchaîné cette déception énorme, refaire repartir le club, bosser les diplômes d’entraîneur, reprendre un travail à temps complet… Ça a été vraiment compliqué. Je n’ai pas eu le temps d’avoir ce contrecoup qu’ont pu avoir certains joueurs. J’ai explosé et j’ai dit stop, il faut que j’arrête car je suis en train de perdre beaucoup de choses. » Aujourd’hui, le technicien attend son visa pour diriger une académie aux États-Unis.

L’amertume comme moteur de succès

Le destin a été plus heureux pour Christophe Pélissier même s’il garde « plein de choses en travers de la gorge. Ils ont détruit l’aventure humaine d’un groupe. Je pense qu’on aurait pu faire des choses intéressantes en Ligue 2. Voilà, la cicatrice est là. » Quelques mois plus tard, le natif de Revel, en Occitanie, part à Amiens, en National. Deux ans plus tard, le club picard monte en Ligue 2. Puis en Ligue 1, au terme d’un scénario incroyable lors de la dernière journée. Mais pour Christophe Pélissier, aucun sentiment de revanche. La frustration, elle, domine encore : « J'estime qu’il y avait moyen d’aider le club plutôt que de l'enfoncer, surtout quand on voit Concarneau qui joue dans un stade vide à Brest, alors que l’on ne nous a pas donné cette chance. Rodez a aussi pu jouer au stade de Toulouse. »

Jérôme Hergault a aussi goûté à la Ligue 1. Celui qui, à Luzenac, faisait le taxi pour ses partenaires comme Khalid Boutaïb, dans sa petite voiture, a joué en Ligue 2 avec le Red Star et l’AC Ajaccio. Il rejoint Christophe Pélissier à Lorient, l’année de la montée en Ligue 1 du club du Morbihan. « Ce n’est pas une revanche. Je suis content de mon rebond car j’ai réussi à m’en sortir mais ce n’est pas parce que j’ai joué dans ces championnats que je pourrai oublier cette injustice. » Avant d’avoir un petit mot aux laissés-pour-compte : « Je dis merci à mes potes. J’aurais aimé qu’on vive tous la même chose car beaucoup le méritaient. »

Julien Outrebon, l’ancien de Troyes, aujourd’hui sélectionneur adjoint de la Mauritanie, en lice pour la Coupe d’Afrique des Nations 2024, a lui aussi vécu un après Luzenac réussi. S’il garde encore en travers de la gorge la décision de la LFP, l’ancien défenseur de Troyes est sélectionné en équipe de France militaire. Trois mois après la non-montée, Outrebon devient champion d’Europe. Un souvenir inoubliable. « Il y avait une ambiance incroyable, des superbes personnalités. On parle d’émotion et chanter la Marseillaise à côté de militaires, ça fait quelque chose. »

Des liens éternels

Le difficile épisode de Luzenac a au moins eu le mérite de lier à vie tous les acteurs de cette formidable épopée. Jérôme Hergault et Assan Karaboualy, sont heureux à l’idée de participer à un entretien croisé. « Non ça ne me gêne pas ! Assan c’est la famille », avoue Hergault. Par téléphone interposé, les deux hommes se parlent comme s’ils s’étaient vus la veille, échangent des souvenirs et des anecdotes qui les ont marqués. Six ans ensemble, ça ne s’oublie pas. Preuve de la solidarité qui était le socle de la réussite de Luzenac à l’époque, Jérôme Hergault monte au front auprès de la direction sportive pour garder Issa Makalou et Assan Karaboualy, poussés vers la sortie : « Je leur dis que je m’en fous d’avoir un salaire plus important… Je leur dis qu’on a des soldats et que si la direction les retire, je pars. » La suite, tout le monde la connaît et Luzenac finit deuxième de National, synonyme d’accession à la Ligue 2. « C’est chacun pour sa gueule aujourd’hui dans le football, c’est la réalité, mais en l’occurrence notre groupe était solidaire et connaissant Jérôme, ça ne m’a pas spécialement étonné » raconte Karaboualy.

Encore un groupe WhatsApp

Depuis la fin de l’aventure de Luzenac, tous les acteurs de l’épopée se parlent régulièrement sur un groupe WhatsApp. Les anniversaires, la presse et quelques débats animent tous les jours ce groupe de discussion. « On sait qu’on a vécu des grandes choses, soutient Karaboualy. Donc on a des nouvelles tous les jours. » Même des joueurs n’étant restés que six mois, comme Simon Hebras, prêté par Niort, gardent un souvenir mémorable de leur présence en Ariège. « Je suis arrivé dans une équipe qui tournait très bien. C’est surtout l’image d’un groupe soudé, de copains. Je me suis retrouvé dans un club familial, de potes, et c’est ce qui faisait la force de ce groupe. » Luzenac, c’est l’histoire d’une bande de potes venant d’horizons totalement différents. C’est l’histoire d’un groupe d’hommes ayant réussi à écrire l’un des plus grands exploits du football français. Mais c’est surtout l’histoire d’une épopée qui aura éternellement un goût d’inachevé.

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