Longtemps, l'équipe de France avait un complexe d'infériorité par rapport aux Etats-Unis. Ce complexe a commencé à être renversé en 2008, à Pékin, lors de la finale du relais 4x100m nage libre, constitué de Fabien Gilot, Amaury Leveaux, Alain Bernard et Frédérick Bousquet. Ces quatre nageurs peuvent regarder droit dans les yeux le relais américain, constitué de Jason Lezak, Garrett Weber-Gale, Cullen Jones et Michael Phelps. Malheureusement pour les Bleus, une erreur humaine viendra les empêcher de remporter la médaille d'or. 16 ans plus tard, Frédérick Bousquet garde toujours un goût amer de cette finale olympique. Entretien.
Comment on se prépare à une finale olympique ?
« C’est ce qui nous a manqué. On ne s’y est pas préparé, pas assez projeté, pas confronté à ce qu’allait être cette réalité. Après, ce n'est pas pour nous décharger mais on a vécu un sacré retournement de situation, à peine une heure avant la finale. »
Lequel ?
« Le fameux DTN (Directeur Technique National) en place à l’époque, Claude Fauquet, a décidé de changer l’ordre du relai sans nous en avertir, nous mettant devant le fait accompli. Cela nous a légèrement perturbés. L’ordre qu’il avait lui en tête, qui l’arrangeait bien, n’avait pas été mené d’un point de vue sportif, mais plutôt d'un point de vue d'image. Mais la natation reste un sport. La stratégie de l’ordre des relais et de la mise en place des relayeurs, elle est basée sur les performances. Lui, ne voyait que l’image. C’est ce qui se passe souvent en France : soit on n'a pas confiance en nous, soit on est arrogant. Il a eu l’arrogance de se dire nous allions être champion olympique et il voulait que ce soit Alain qui termine le relais. Car il était l’image de la Fédération à ce moment-là. C’est pour cette raison que ce monsieur a décidé de mettre Alain en dernier relayeur. »
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Quel était l'ordre mis en place au départ ?
« On avait décidé, nous les nageurs, de l’ordre du relais de manière stratégique. Amaury Leveaux partait en premier. Il a la plus belle et meilleure coulée au monde. On ne voulait pas qu’il parte à l’intérieur des relais car il n’était pas athlétique. Quand on travaillait les prises de relais à l'entraînement, il était décoordonné, il entrait souvent mal dans l’eau, ça ne le plaçait pas très bien dans sa coulée. Il avait une mauvaise vision de la nage de son coéquipier qui arrivait, il anticipait mal son départ. Alain Bernard partirait deuxième. Il avait une technique très propre, très aérienne. Dans un relais, les 200 premiers mètres, la piscine reste praticable, l’eau reste assez plate. Alain a une nage propre mais il a besoin d’être posé sur une eau propre. La deuxième raison, c’est que l'on ne voulait surtout pas qu’Alain voie les résultats des premiers relayeurs. Il était détenteur du record du monde du 100m nage libre en arrivant à Pékin, on ne voulait pas qu'il voie son record être battu durant le relais. L'impact aurait été trop grand sur lui. Fabien Gillot devait partir en troisième. Il était un peu comme moi, on était deux nageurs, pas très technique, mais avec beaucoup de puissance et de vélocité. De plus, Fabien et moi faisions partie des plus expérimentés. On s’était dit que Fabien aurait la capacité d’engranger un peu toute cette pression qui s’accumule au fur et à mesure de la course. Et puis, traditionnellement, Fabien a toujours été troisième. Puis, on m’avait choisi comme dernier relayeur car j’étais le plus expérimenté. Je connaissais les Américains. Ça faisait déjà 5 ans que je les côtoyais aux Etats-Unis, je les connaissais. J'aurais le mieux géré cette fin de course. Malheureusement, Monsieur Fauquet en a décidé autrement, une heure avant la course. »
Vous l'avez encore en travers de la gorge ?
« Oui, c’est horrible. La décision de cet homme a influencé notre résultat final. Je ne lui remet pas toute la faute dessus, mais elle a énormément eu une influence. Il nous a déstabilisé à seulement une heure de notre finale olympique. Mais cette décision aurait pu être catastrophique. A la fin du relais, Alain touche, il se prend la tête. Il prend toute la responsabilité de cette deuxième place sur ses épaules, il commence à chialer. Il aurait pu perdre les JO dans son intégralité à la fin de cette course. Heureusement qu’on est là pour le rattraper et lui dire : ‘Alain, on gagne et on perd ensemble’. On ne peut pas s’accabler et être désespéré de finir deuxième à 8 centièmes de la médaille d’or olympique alors qu’il y a 4 ans on était 5ème. »
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Vous en avez reparlé avec le DTN ?
« Après la course, il a vu ma tête, il a commencé à s’approcher de moi et il a fait demi-tour. Je pense que je l’aurai frappé. Il a bien fait de partir. Ça m’aurait attiré des ennuis. Tu frappes le DTN, t’es exclu de l’équipe de France, tu passes en conseil de discipline. Mais encore aujourd’hui, quand j'en parle... Je hais cet homme pour ce qu’il nous a fait. Je le hais profondément. »
Le fait d’être quand même sur la deuxième marche du podium n’affaiblit pas la déception ?
« Quand on regarde les photos du podium, on est tous les quatre à tirer une tête… Comme si on était en train d’enterrer nos parents. Cet abruti nous a gâché ce moment-là. On aurait pu être heureux. Ce jour-là, on était les plus forts et on n'a pas gagné à cause d’une décision humaine. Le podium, on le vit très mal. Alain rebondit très bien derrière puisque deux jours après il est champion olympique. Fabien et moi on s’écroule, on disparaît après ce relais. Moi j’étais sur le 100m papillon avec le deuxième ou troisième temps mondial de l’année et je ne me qualifie même pas en finale. On est effondré, épuisé. Fin des Jeux pour nous, dès le premier jour. Quand on est capitaine de l’équipe de France c’est compliqué, surtout quand t’as envie d’encadrer le DTN. »