Il possède l'un des plus grands palmarès de la natation française. Vice-champion olympique en 2008, vice-champion du monde en 2009, 12 fois champion d'Europe, 45 fois champion de France... Frédérick Bousquet n'aurait pas pu avoir ce palmarès s'il n'avait pas succombé aux sirènes américaines pour s'entraîner et s'imprégner de la culture sportive fondée sur la performance. Pour le10sport.com, il a accepté de revenir sur la décision qui a changé sa vie en août 2002.
Comment est arrivée la possibilité de partir aux Etats-Unis ?
« Quand j’étais aux Jeux olympiques de Sydney en 2000, Romain Barnier (ancien nageur, 11 fois champion de France et proche de Frédérick Bousquet) me présente David March, son entraîneur, qui est aussi entraîneur en chef de l'équipe olympique américaine. Je le rencontre et il essaye de me recruter. Romain me dit qu’il faut que je vienne aux États-Unis. Mais en rentrant de Sydney, j’attaquais ma terminale. L'idée c’était de passer mon bac avant. Je l’obtiens mais ma vie à Antibes me plaît, les entraînements me plaisent… Et puis j’ai mes copains, mon indépendance, je ne parle pas anglais, je sais pas à quoi ça ressemble… J’ai tout simplement peur. On ne va pas se mentir, j’ai 20 ans, à cet âge-là à Antibes, entre mai et juin, ma deuxième maison c’est Juan-Les-Pins. Je dis à Romain que je viens d’avoir le bac, obtenu par correspondance. J’étais fatigué. Je voulais faire un break. Je voulais me focaliser sur la natation pendant un an, ne penser à rien d’autre. »
Comment tu vis le fait de ne pas partir ?
« C’était une erreur. À ne vivre que pour une seule chose, on en devient dépendant. Si ça se passe mal, toute ta vie s’écroule. La saison qui a suivi a été catastrophique. La première raison, c’est que Michel Guizien, notre entraîneur, ne voulait plus de nous. Avec les autres nageurs, on lui avait fait vivre un enfer, on avait aucune discipline. J’ai toujours été très humain et dans l’affect donc quand je vois ce monsieur, en qui je plaçais tous mes espoirs, me rejeter, je prends une claque. La deuxième chose, c’est qu’à trop me focaliser sur les entraînements, ça devenait un fardeau. Aux championnats de France qui suivent, je ne qualifie même pas pour la finale. »
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Finalement, tu pars aux États-Unis.
« Oui. À l’époque, Romain Barnier et Lionel Moreau (un coéquipier de Romain Barnier) me disent de les rejoindre. David March, leur entraîneur, me propose une bourse scolaire complète (50-60 000$). À ce moment-là, je n’ai pas d'autre option puisque la fac de Nice ne veut pas s’adapter à mes entraînements. Ce qui a vraiment scellé ce départ, même si je m’étais déjà décidé à aller là-bas, c'est mon agression. Je fais ma dernière compétition de la saison, on va la fêter avec des copains à Juan-les-Pins. À la sortie de la boîte, un mec, un camé, me demande une clope que je n’avais pas. J’en ai toujours avec moi désormais (rires). Il a tenté de nous écraser puis il m’a agressé avec une barre à mine. J’ai pris dans le cou, la mâchoire et le crâne. Trois jours à l’hôpital m’ont suffit pour me dire que je ne voulais plus de cette vie-là. Je pars donc aux Etats-Unis, on est en août 2002. »
Comment se passe ton arrivée là-bas ?
« Je n’intègre pas tout de suite l’université et l’équipe universitaire car c’est très strict là-bas. Pour pouvoir l'intégrer, il faut deux diplômes : le SAT (Scholastic Assessment Test, équivalent du bac) et le TOEFL (Test Of English as a Foreign Language). Au début, je pensais me débrouiller tranquillement. Finalement je me dis « ok ils parlent une autre langue. » Ce n'est pas de l’anglais ça, surtout au fin fond de l’Alabama. Je n'ai pas ouvert la bouche, pas dit un mot pendant trois semaines. Je m’entraîne avec le club de natation d’août à décembre. Romain et Lionel ont été incroyables car ils m’ont hébergé avec eux. Ils m’ont éduqué, pris sous leur aile comme des grands frères. Ils me guidaient quand je ne comprenais pas les entraînements. Ils m’expliquaient tout en anglais. Ils me forçaient à parler anglais. Ils ne me parlaient plus en français. Le soir, je devais m’endormir à 19h tellement mon cerveau était épuisé à force d’essayer de comprendre l’anglais. Ils m’ont forcé et ça a été salvateur. Je ne peux que les remercier d’avoir fait ça sinon j’aurais mis des mois et des mois à apprendre cette langue. Au mois de décembre, à la fin de mon visa touristique, je passe mes examens et les valide. David March me dit qu’en janvier, quand je reviens, j’intégrerai le groupe universitaire et je serai un étudiant américain. J’ai commencé ma carrière d’universitaire américain en janvier 2003. »
Tu as 22 ans à ce moment-là, ce n’est pas une jeunesse commune…
« Quand j’y repense, je me dis que c’est un parcours de dingue. Les étoiles se sont alignées, j’ai eu énormément de chance. Mais c'est aussi parce que je me suis bougé. J’ai osé, je me suis battu. Bien sûr, on m’a énormément accompagné, encouragé, soutenu. J’ai toujours eu beaucoup de mal à assumer mes qualités, mon talent, mes capacités. Avec le recul, je suis fier d’avoir vécu ce que j’ai vécu et de me dire que j’en ai été décisionnaire. »
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Combien on passe d’heures par jour dans la piscine aux États-Unis ?
« En semaine, on faisait deux heures le matin, deux heures l’après-midi. En plus de ça, trois fois par semaine, on faisait 1h30 en salle de musculation. Le samedi c’était grand jour. On commençait l’entraînement à 6h mais on ne savait pas à quelle heure il s’arrêtait. Que ce soit dans l’eau ou hors de l’eau. Une fois, on a fait des circuits en salle, on est ressorti à 12h. Je ne savais plus quel jour on était, dans quel monde on était. Pour les entraînements de natation, ça pouvait durer 4h. On faisait un échauffement commun, les groupes étaient ensuite séparés, on faisait la série, puis le débrief… On n'était pas là pour aligner les longueurs mais pour comprendre ce que l'on était en train de faire. Ça, c’était fantastique. »