Coronavirus : «Ensemble, nous devons réinventer l’avenir du sport»
Alexis Bernard -
Rédacteur en chef
Footballeur presque raté, j’ai choisi le journalisme car c’est l’unique profession qui permet de critiquer ceux qui ont réussi. Après avoir réalisé mon rêve de disputer la Coupe du Monde 2010 (en tribune de presse), je vis de ma passion avec le mercato et les grands événements sportifs comme deuxième famille.

Au cœur d’une crise sanitaire qui est devenue économique, sociale et sportive, les équipes de Bpifrance se mobilisent pour répondre aux nombreuses attentes de leurs partenaires et notamment des clubs sportifs, en plein doute face à l’avenir. Directeur Exécutif et Communication de Bpifrance Excellence, Patrice Bégay fait le point sur une situation qui dispose déjà de mesures fortes.

Patrice Bégay, vous sortez de trois réunions très importantes en l'espace d'une semaine, et notamment avec Madame la Ministre des Sports. Pouvez-vous nous en donner le contenu ?
La Ministre des Sports m'a demandé notamment d'intervenir auprès des Présidents de Ligues et des Fédérations de sport, ce que j'ai fait. Et je tiens tout d'abord à tous les féliciter, pour leur engagement et leur courage. Le président de Montpellier, Laurent Nicollin, me disait lors de notre échange que c'est dans le sport et la difficulté que l'on reconnaît les Hommes, je trouve cette phrase très juste. Je rends un hommage particulier à nos 54 présidents de clubs partenaires pour la saison 2019-2020 et à toutes les équipes de volley, de rugby, de hockey sur glace, de basket, de handball, de football et de water-polo. La soudaineté et la brutalité avec laquelle la crise sanitaire a frappé nos territoires a plongé toutes les organisations sportives en arrêt d'activité, en quasi arrêt cardiaque, du jour au lendemain comme d'autres activités importantes pour le pays et touchant tous nos concitoyens. Oui, je parle bien d'arrêt cardiaque. Et on a démarré la réanimation. Après le stop, il faut le start et une solidarité nationale de reconstruction. Qu'il me soit permis aussi de féliciter le CNOSF et le monde associatif et des bénévoles qui font un travail remarquable pour le sport français avec une grande humilité. Aujourd'hui, c'est la guerre et nous sommes en première ligne au côté de l'Etat et de nos partenaires bancaires pour sauver les entreprises et les emplois. La priorité absolue, oui, c'est la santé !

Et pour être armé, Bpifrance a déjà mis en place des mesures fortes. Vous pouvez nous en dire plus ?
La première, la plus importante, c'est le PGE. Le Prêt Garantie par l'État lancé dès le début de la crise par Bruno Le Maire, notre ministre de l'Économie et des finances et tous les réseaux bancaires de la FBF. Toutes les TPE, PME et ETI ont droit à un prêt d'un montant pouvant aller jusqu'à un trimestre de leur chiffre d'affaires. Ce prêt est accordé directement par leur banquier et garanti par l'État. Il est d'une durée d'un an, sans amortissement, puis l'entreprise peut demander soit à ce que son remboursement soit étalé sur 5 ans soit à le rembourser immédiatement.

Pour l'obtenir, comment faut-il faire ?
Il faut aller voir son banquier habituel, convenir précisément des termes du prêt, se connecter à un site bpifrance.fr pour obtenir un numéro unique qui sera à communiquer aubanquier pour signer et débloquer le prêt. Bpifrance a lancé également un plan de soutien d'urgence pour soutenir les entreprises de toute taille... Nous savons que les entreprises ont besoin de cash et veulent sécuriser leurs lignes à court terme. Avec les Régions, au plus près des entreprises de nos territoires, nous proposons aussi des solutions utiles pour les entreprises de toute taille.

« Ce sont les forces et les valeurs du peuple de France qu'il faut retrouver dans le nouveau mouvement sportif français »

Vous avez pu échanger avec des acteurs importants du sport français, notamment dans le monde du football. Que vous ont-ils dit ?
J'ai effectivement pu échanger, parfois longuement, avec des dirigeants de club comme Jacques-Henri Eyraud, président de l'OM, un homme plein de volonté et direct. Il a parfaitement conscience de la situation et comme lui, je pense que le football est un lien social, en particulier à Marseille. Il faut que les clubs aient une trajectoire de reprise et que le secteur se moralise. C'est aussi ce que pense Bernard Joannin, à Amiens. C'est un chef d'entreprise aguerri, qui ne dépense jamais ce qu'il n'a pas. Un patron expérimenté, comme Noël Le Graët, président de la FFF, un sage et visionnaire que je connais depuis plus de 20 ans. Il paraît évident dans beaucoup de sports d'opérer un rapprochement entre la Fédération et la Ligue, pour que le sport ait un langage audible et redevienne beaucoup plus sain qu'il ne l'est aujourd'hui dans certaines disciplines. J'ai également eu Didier Quillot, le Directeur Général de la LFP, avec qui nous avons longuement échangé sur le PGE pour les clubs de première et deuxième division. Le président Jean-Pierre Rivère à Nice, Marc Keller, à Strasbourg, qui effectue un travail sérieux, reconnu par tous, dans le monde du football, les dirigeants du Stade Rennais, club familial, entrepreneurial et patrimonial du football français. Pierre Ferracci au Paris FC, un grand homme, de valeur, qui a misé sur la formation et ses deux équipes premières, féminine et masculine. Je le disais tout à l'heure, Laurent Nicollin, à Montpellier, dont j'ai bien connu le papa, Louis. C'est un passionné, un chef d'entreprise lui-aussi, un homme d'une grande fidélité qui a su s'entourer avec des anciens joueurs du club, qui partagent ses valeurs. Depuis 15 jours nous avons beaucoup échangé en particulier avec le Président du CNOSF, du tennis, du rugby, du volley, du cyclisme, du basket pour travailler sur des solutions durables et efficaces.

Pensez-vous que le monde du sport, notamment celui du football, soit prêt à entamer la nécessaire reconstruction de son modèle ?Mais c'est essentiel, indispensable, vital pour la santé et la pérennité du beau sport. Il faut revoir la gouvernance, remettre l'humain au centre de tout et notamment à la place de l'argent. Il y a autre chose dans la vie que les transferts, les droits TV, la billetterie, le sponsoring, le merchandising... Il y a aussi et surtout la vraie vie, tous ces jeunes plein d'espoir, les écoles, les éducateurs, les bénévoles, les supporters... C'est le sport de demain, l'éthique et l'union sacrée. Ce qui nous a marqué dans l'excellent discours du Président, Emmanuel Macron, c'est la santé avant tout et l'espoir qui renait avec solidarité, confiance et volonté. Depuis le 15 mars, nous avons progressé, grâce aux efforts de tous, grâce aux soignants qui sont pour moi des sportifs de très, très, haut-niveau. Il faut aller vite sur la manière de faire, et nous l'avons fait en proposant des mesures fortes et concrètes pour servir l'avenir du sport. Mais il faut aussi peut-être renverser la table ! Et c'est ensemble que nous devons réinventer l'avenir du sport.

Profiter de cette période pour réinventer le modèle sur lequel s'est construit le sport, c'est ça ?Tout à fait ! Car dans ces moments de tristesse et de solitude, c'est aussi l'occasion d'innover, d'oser et d'agir. Ceux sont les forces du peuple de France qu'il faut retrouver dans le nouveau mouvement sportif français. Comme dans le sport, il y a des règles et elles sont strictes. Des mesures de confinement, que tout le monde doit respecter. Il faut être au plus strict pour ralentir l'épidémie et, comme dans n'importe quelle rencontre sportive, on ne pourra jamais le gagner seul ce match. Et la preuve que le confinement marche, ce sont des pays comme le Portugal, qui ont mis en place des choses fortes et rapidement. Aujourd'hui, le Portugal est l'un des pays les moins touchés d'Europe, car son peuple respecte les règles. J'échange quasiment quotidiennement avec des acteurs de cette crise, et notamment Jean-Daniel Chiche, grand professeur de la réanimation en France : il implore les gens de rester chez eux ! On peut difficilement trouver plus légitime que sa parole. Vous comprenez qu'entre reprendre coute que coute un championnat ou la santé des français, le choix est vite fait, il faut arrêter de plaisanter.

Cette crise du coronavirus met en lumière plusieurs dérives du système en place et notamment la dépendance des clubs à l'égard de certaines sources de revenus. Les droits TV en font partie. Quel est votre regard sur ce sujet ?Il faut faire attention à ne pas vivre uniquement sur les droits télés car le jour où il y a un incident, comme c'est le cas aujourd'hui, tout peut s'écrouler. Nous avons la chance en France d'avoir des personnalités formidables dans le monde des médias qui connaissent le sport  comme Nicolas de Tavernost (M6), Yannick Bolloré (Vivendi Canal+) Laurent-Éric Lelay (France Télévisions), François Pélissier (TF1), Alain Weil et Arthur Dreyfus (Altice), l’EquipeTV, Pascal Chevalier (Reworld Média). Autant d’acteurs français à mettre autour de la table pour redessiner tous ensemble l’univers de l’exposition du sport de notre pays. La reconstruction, c’est tous ensemble et unis. Quand on veut faire du neuf, il faut savoir le faire avec des hommes raisonnables et de bon sens,  des gens qui sont fidèles et entiers, comme le sport doit l'être. 

Pour aider à la reconstruction, beaucoup de clubs aimeraient que le sponsoring devienne du mécénat, avec les exonérations de charge que cela implique. Qu'en pensez-vous ?Est-ce qu'une grenouille peut devenir un bœuf ? Le sponsoring ne peut pas devenir du mécénat. Ce sont deux concepts différents. D'un côté, il y a un don désintéressé au profit d'un acteur reconnu d'utilité publique. Et dans ce cadre, l'état soutien la démarche avec un avantage fiscale. De l'autre, le sponsoring, est une relation commerciale entre deux acteurs et celle-ci n'est nullement désintéressé. Il me parait évident que l'État, par nature, de ne pas soutenir des actes commerciaux. Je pense qu'il faut être clair dans les règles, avec quelque chose de sain, pour soutenir le renouveau dans le sport, sans aucun conflit d'intérêt.

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