Ancien joueur et désormais conseiller, Yacine Ayad incarne une nouvelle génération dans le monde du football. Un savoir-faire loin des clichés récemment véhiculés par un supposé « vivier d’agents de footballeurs venu de la banlieue »…
Au volant d’un 4x4, venu des banlieues et avec des méthodes peu orthodoxes. Voilà le portrait dépeint par L’Équipe Explore dans son dernier article, « La banlieue, le nouveau vivier d'agents des footballeurs ». Une publication qui tente de mettre en avant une « nouvelle sociologie d’intermédiaires » qui piloterait désormais une partie des arcanes du foot, au détriment des agents plus « traditionnels », positionnés en victime de ce nouveau « phénomène ». Naturellement, ce concentré de clichés a fait bondir plusieurs des personnalités nommément citées – ou non. S’il est exact qu’une nouvelle génération s’impose petit à petit dans un milieu jusqu’ici verrouillé par une caste et un système de licence qui permettait de filtrer les « heureux élus » susceptibles de travailler dans le monde du football et de ces transferts, il est plus que réducteur que de dépeindre un portrait type du banlieusard sans scrupule qui vient prendre sa part du gâteau, en imposant ses codes, sa méthode, éloignée de toute morale. Et comme souvent, c’est l’argument infaillible de la « banlieue » que l’on pose au-dessus de la table pour évoquer le sujet.
« Le langage de la banlieue ? Non, juste le langage du football »
Sollicité par Le 10 Sport, plusieurs conseillers issus de cette nouvelle vague a accepté de nous répondre. Et de nous confier leur colère, face à la publication d’un article qui sert principalement ceux qui ont visiblement perdus des affaires ou qui ne suivent plus la nouvelle génération de footballeurs, issus des quartiers comme de tous les autres horizons. YacineAyad est l’un des rares à avoir accepté de prendre la parole pour s’exprimer publiquement : « Comme beaucoup, je n’ai pas compris le sens de cet article. Il parle de la banlieue, de 4x4, de méthodes… On essaye d’entasser des choses pour en expliquer une autre, en prenant des raccourcis, comme souvent. On vient de banlieue ? Oui, on est né à Nanterre, on a grandi à Colombes dans le 92, et alors ? Vous pensez qu’on a choisi de naître et de grandir ici ? On n’a pas honte, c’est même une fierté. Mais croyez-moi, si on était né sur les Champs Élysées, on y serait encore (rire) ! On roule en 4x4 ? Avec une femme et des enfants, oui, c’est plus pratique et confortable. Et comme on dispose d’un peu de moyens financiers, on se permet d’acheter un 4x4, oui. Mais je peux rouler en 4x4 comme en Clio 1, sans souci. Et quant à notre langage, ça n’a rien à voir avec la banlieue. On parle le langage des joueurs, celui du football. Je pense surtout que les agents qui ont du mal à garder leurs joueurs sont confrontés à ça : ils ne parlent plus football. Après, c’est sûrement plus facile de mettre ça sur le dos de la banlieue plutôt que de se remettre en question ».
« Je suis fier de conseiller des footballeurs, peu importe leurs origines ou leurs couleurs de peau »
La réalité est effectivement celle d’un univers qui évolue et qui voit une nouvelle organisation se dessiner autour de ces précieux footballeurs. On voit désormais apparaitre des membres de la famille pour gérer la carrière du protégé, des amis, des conseillers. Et si tous n’ont pas la formation ni les méthodes, cela n’empêche pas de nouveaux acteurs de bien faire leur travail. « Et si on était si mauvais que ça, poursuit YacineAyad, ancien joueur de Bastia, Le Havre et du RedStar, vous pensez vraiment que les agents nous appelleraient pour travailleur avec eux ? Ce qui est drôle, c’est que certains agents qui s’expriment dans l’article en question sont les mêmes qui nous appellent pour faire affaire avec eux. Et quand on me parle de banlieue, de footballeurs issus de la banlieue : Je conseille Julien Faussurier, Anthony Caci, Paul Baysse ou encore Gaëtan Weissbeck. Ils viennent de quartiers sensibles ? Je suis fier de conseiller des footballeurs, peu importe leurs origines ou leurs couleurs de peau. Je le fais avec mon éducation, qui est celle d’un jeune de banlieue, c’est vrai, mais qui à mes yeux vaut tellement plus que n’importe quelle autre ; l’éducation de nos parents était bien au-dessus de tout ça et on ne les remerciera jamais assez pour cela. Je le fais avec mon passé de footballeur. Je le fais en tant que père de famille. Et je le fais avec passion, sérieux, méthode et organisation. Même si certains veulent nous faire passer pour des bandits, on fait notre travail sérieusement, fidèle à nos valeurs et à ce qu’on est. Je ne dis pas qu’on meilleur que d’autres. Je pense juste que ceux qui nous montrent du doigt n’ont de leçon à donner à personne. Si j’avais eu un joueur à Knysna, croyez-moi qu’il serait descendu du bus. Porter les couleurs d’un pays est un honneur incomparable, je l'ai porté pour la France, pour l'Algérie, je sais ce que c'est. Jamais une personne que je conseille n’aurait pu se permettre cela. Ceux qui nous critiquent aujourd’hui sont les mêmes qui se sont cachés derrière leur joueur à Knysna. Ce sont ceux qu’on ne voyait pas quand on était en centre de formation, au début de nos carrières… Par tous les moyens, ils essayent de trouver des excuses à leurs propres failles. C’est de leur faute, ceux qui viennent de la banlieue, là où on ne peut pas mettre les pieds. C’est sûr que c’est difficile d’y mettre les pieds quand tu n’as jamais essayé d’y aller… Je viens de là, oui. Et alors ? C’est une fierté. Et quand je vois des talents comme Jul, Algérino, Rim'k, Heuss l'Enfoiré, Djadja & Dinaz ou encore Naps, c’est encore une fierté. Ils donnent de la force et de l’espoir à toute une génération, à des jeunes, à des étudiants, à des gens qui ont fait des bêtises, qui sont en prison, à des espoirs qui sont en centre de formation et plein d’autres encore. Laissons-les donner du rêve à ceux qui en ont besoin, sans avoir à leur rappeler leurs origines ou leur milieu social… C’est sans doute l’arme préférée de ceux qui ne veulent pas que les choses changent. Ce n’est pas la mienne ».