Cyclisme : «Le dopage technologique est un véritable fléau»
La rédaction

À l’approche du Tour de France, Dorian Martinez, psychologue du sport et spécialiste du combat de la lutte antidopage, répond aux questions du 10 Sport. Et évoque notamment le nouveau fléau du dopage technologique.

Sur la thématique du dopage, difficile de ne pas penser au cyclisme, un sport qui a connu de nombreuses affaires. Selon vous, est-ce que la problématique est toujours présente ou est-ce que la lutte anti-dopage est en train de gagner son combat ?
Malheureusement, le dopage ne touche pas uniquement le cyclisme, il affecte tous les sports. Et malheureusement, le combat contre le dopage ne sera jamais totalement gagné. Affirmer que ce combat est remporté et baisser les armes serait une grave erreur. La lutte contre le dopage doit rester un combat permanent. La nature humaine cherche toujours à progresser, avec, d'un côté, une part d'innovation éthique et autorisée, mais aussi, de l'autre, avec une part obscure utilisant des procédés illégaux souvent dangereux pour la santé et totalement inéquitables pour la performance sportive.

Quelles sont les nouvelles techniques anti-dopage ? Quelles sont les mesures récentes qui ont permis une grande avancée ?
Dans les années 2000, la détection de l'EPO a représenté une avancée majeure. Cette substance permettait d'augmenter les performances de 10 à 20%, ce qui est énorme. La capacité à détecter l'EPO a été une étape très significative, même si elle commence à dater. Aujourd'hui, les efforts se concentrent non seulement sur l'amélioration des processus de détection des substances dopantes, mais aussi sur la détection du dopage mécanique. Cette forme de tricherie, bien qu'elle n'affecte pas directement la santé des coureurs comme le dopage humain, est également interdite. Les avancées dans ce domaine sont cruciales pour assurer l'équité dans les compétitions sportives.

Vous avez créé plusieurs projets autour du dopage, notamment le label SPORT Protect comment se matérialise votre combat au quotidien ?
Le premier dispositif que j'ai lancé a été le numéro vert national Écoute Dopage, en 1998. En tant que directeur, avec une équipe de médecins et de psychologues, nous avons été les premiers au monde à offrir une écoute massive à de nombreux sportifs de tous niveaux et de toutes disciplines. Nous avons malheureusement constaté que le dopage ne se limitait pas seulement au cyclisme de haut niveau, mais qu'il touchait tous les sports. Ensuite, j'ai créé le label SPORT Protect, qui permet aux sportifs honnêtes de s'assurer que leurs compléments alimentaires ne contiennent pas de substances dopantes, qu'elles soient ajoutées volontairement ou involontairement. Aujourd'hui, dans presque toutes les affaires de dopage, les athlètes incriminés affirment souvent avoir été piégés par des compléments alimentaires contaminés… Depuis 2005, notre label et le dispositif que nous avons mis en place permet de garantir la sécurité aux sportifs qui souhaitent consommer des compléments alimentaires ou produits de l’effort sans risques.

Le Tour de France approche, est-ce qu’on peut considérer, aujourd’hui, qu’il est propre, presque propre ou loin de l’être ?
Je dirais qu'il y a deux défis majeurs dans le cyclisme. Évidemment, le dopage classique, tel que nous le connaissons, reste un fléau dans le cyclisme. Mais il y a aussi les avancées technologiques qui permettent de gagner énormément de watts, donc d'énergie, sans effort. C'est un véritable défi, car cela constitue une forme de tricherie que l'Union cycliste internationale doit détecter plus efficacement encore. Le dopage mécanique est donc un véritable fléau qu'il faut également combattre.

« Des moyens dont on ne peut pas parler encore aujourd’hui, innovants, sont en train d’être expérimentés »

Et en parlant de ce dopage mécanique, comment pourrait-il être contrôlé ? Est-ce que c’est une vérification de chaque vélo avant chaque course ?
Les contrôles se font avant et après les courses, en utilisant des tablettes à résonance magnétique. Ces tablettes sont approchées des vélos pour détecter la présence éventuelle d'électro-aimants, notamment dans les roues, où des prototypes coûtant jusqu'à 200 000 euros peuvent augmenter la puissance de 60 à 200 watts de manière presque invisible. Un autre moyen de détection est l'utilisation de caméras thermiques infrarouges pendant la course, qui permettent de repérer des sources de chaleur anormales, par exemple dans le cadre ou le moyeu. Si une source de chaleur est détectée dans le moyeu, cela indique probablement la présence d'un moteur en fonctionnement. Enfin, des moyens innovants, encore confidentiels, sont en cours d'expérimentation. Je suis au courant de certaines de ces innovations, mais je ne suis pas autorisé à en parler pour le moment. Comme pour le dopage humain, c'est une course à l'innovation pour détecter et prévenir ces nouvelles formes de tricherie.

On va rester sur ce domaine-là. On voit que le dopage technologique, c’est une nouvelle forme de dopage qui a apparu ces dernières années. On voit des vidéos de cyclistes qui chutent et leur vélo qui avance tout seul, par exemple. C’est un phénomène mineur ou c’est vraiment un problème dans la lutte anti-dopage ?
Il y a énormément de suspicions. Par exemple, Fabian Cancellara a été suspecté lorsqu'il a changé de vélo subitement en pleine course, puis a démarré à 50 km/h en restant assis. Chris Froome, en 2015, a également suscité des doutes lorsqu'il a pédalé à 110 tours par minute sur une pente à 12 %. Alberto Contador et d'autres cyclistes célèbres ont aussi été sous le coup de suspicions. Je vais vous raconter une petite anecdote pour montrer que ce phénomène n’est pas si récent. À la fin des années 1970, mon père était chanteur dans un orchestre qui animait les 6 jours de Grenoble, une épreuve mythique en vélodrome qui a lieu chaque année. Il m'a raconté qu’entre chaque course, il y avait toujours des animations et des jeux. Un jour, il y avait une épreuve opposant un professionnel à un junior. Au bout de quelques tours, le junior a commencé à rattraper et dépasser le professionnel, ce qui a beaucoup enthousiasmé le public. Mais à la fin, le speaker a révélé que le vélo du junior était truqué. Le public s'est alors senti trahi et a copieusement hué le ”spectacle” proposé. Donc, même à la fin des années 70, ce type de technologie existait déjà.

A partir de quand cela a gagné le circuit professionnel ?
La première fraude avérée remonte à presque 10 ans, en 2016. Une cycliste belge a été officiellement sanctionnée pour dopage mécanique lors des championnats du monde de cyclo-cross, où un moteur a été trouvé dans son vélo. Comme je l'ai mentionné, il y a eu des suspicions concernant Cancellara, Froome et Contador, bien que sans preuves concrètes. Cependant, des phénomènes comme un vélo qui tombe et dont la roue continue de tourner à grande vitesse, ou des coureurs qui appuient sur une partie spécifique du frein en pleine montée pour probablement enclencher un mécanisme, suscitent de très forts doutes. De plus, il y a eu des comportements suspects de mécaniciens qui, lors des contrôles, grattent frénétiquement leur montre. Cela s'explique par le fait que des connexions entre la montre et la roue du vélo sont possibles. Ces suspicions sont tellement répandues que ce sont les coureurs eux-mêmes qui demandent aujourd’hui plus de contrôles. Ils expriment leurs doutes sur certains coureurs et insistent sur la nécessité d'agir.Donc, ce problème est vaste et constitue un défi supplémentaire pour le cyclisme, qui est déjà fortement associé aux questions de dopage humain.

Propos recueillis par Quentin Bionier

Dorian Martinez est le fondateur du label SPORT Protect : www.sport-protect.org et de l’organisme de formation Devenir Meilleur : www.preparation-mentale.com

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