Éric Bellion : «Une course brutale»
La rédaction

Après 4 mois de chantier suite à une collision, le bateau d’Éric Bellion est de nouveau à l’eau et participera à la transat CIC à la fin du mois. Une course « brutale » selon lui mais qui pourrait lui permettre d’atteindre son objectif de cette année : le Vendée Globe.

Vous avez remis à l’eau votre bateau après un long chantier suite à une collision sur votre dernière course (ndlr : la Transat Jacques Vabre en novembre 2023), comment se sont passés ces derniers mois ?

Je ne vais pas vous cacher que ça a été difficile. Casser, ce n’est jamais juste ! Retourner en chantier aussi rapidement après la mise à l’eau d’un bateau neuf, c’est une épreuve psychologique. Ce chantier aura duré 4 mois, 4 mois d’une intensité rare, où il a fallu tenir, travaillé sans relâche à la réparation du bateau mais aussi à la recherche de financement.

C’est quelque chose que je n’avais encore jamais vécu, sur lequel je n’avais pas de retour d’expérience… mais finalement comme dans chaque épisode douloureux, tu vas chercher des ressources que tu ne soupçonnes pas et qui pourtant sont bien là, au plus profond de toi. On a beaucoup douté mais on a aussi beaucoup appris.

Le temps joue contre nous. Il a fallu prendre la bonne décision et le faire rapidement. On est constamment à flux tendu, le temps qu’on perd maintenant c’est du temps qu’on ne retrouvera jamais. C’est aussi ça la course au large, être en course avant la course et faire le moins pire des choix.

 
Vous avez su remobiliser votre équipe, la course au large ça n’a finalement rien d’un sport individuel ?

Pas de Vendée Globe sans équipe, c’est certain. La navigation en solitaire implique de faire des choix seul, des choix efficaces pour se sortir de situations parfois complexes. Heureusement, à terre, je suis entouré. On est 2 à la tête de cette équipe, c’est avec Marie Lattanzio (ndlr : directrice et co-fondatrice de STAND AS ONE) que je partage toutes les prises de décision. Il a fallu continuer de croire en ce projet, continuer d’embarquer toute l’équipe. Une équipe qui aurait pu faire le choix de claquer la porte, prêter main forte à un autre skipper… pourtant elle est restée à mes côtés, mobilisée, déterminée à trouver des solutions. C’est grâce à eux qu’on a réussi !

Amener un bateau de course et son skipper autour du monde dans les endroits les plus hostiles de la planète avec ces moyens et ce temps imparti, c’est déjà une gageure. On peut le faire qu’avec une équipe chevronnée qui a une envie farouche de faire avancer les choses. Nos bateaux sont tellement complexes qu’ils exigent un collectif qui fonctionne bien. On a tous les jours des problèmes qui nous semblent insurmontables, on a qu’une seule exigence : c’est d’essayer de les résoudre. C’est ce que fait cette équipe : elle crée son propre espoir, prête à relever tous les challenges, déterminée à faire avancer les choses. Tout le monde a travaillé avec énormément de sérieux sur ce chantier qui finalement était double (réparation et développement). Dans nos projets on fait le deuil de la perfection, mais on fait le maximum. Faire travailler équipes et moyens au maximum de leurs possibilités, c’est ainsi qu’on vise l’harmonie. J’ai la chance d’avoir dans mon équipe des gens avec beaucoup d’empathie et d’énergie à donner aux autres. C’est un boulot de passionnés !

 

 Pourtant vous partez à la fin du mois pour une course en solitaire. Se retrouver seul du jour au lendemain sur son bateau sans cette énergie collective, comment vous vous préparez à ce décalage ?

J’y suis habitué et j’aime ce décalage. Si cette énergie me porte à terre, quand je suis en mer je suis heureux de me retrouver seul face à moi-même. J’apprécie naviguer à ma façon, communier avec mon bateau. Ça fait un moment que je n’ai pas fait de solitaire, j’ai hâte de me remesurer à l’exercice, il va falloir que je reprenne mes marques. En 2022 (après une absence de 6 ans) ça m’avait plutôt bien réussi, j’avais terminé 7e de la Guyader Bermudes 1000 Race. Pour cette fois ci, on verra bien !

 

 Vous prendrez le départ de The Transat CIC le 28 avril, pouvez-vous nous décrire cette course ?

Brutale ! (rires) The Transat CIC, c’est un peu la piste noire des courses. C’est une transatlantique relativement courte (environ 10 jours) qui part de Lorient pour rejoindre New-York, sur un parcours très exigeant.

Elle signe notre retour à la compétition après le chantier hivernal, on attaque directement par une course par la voie nord, contre les éléments, éprouvantes pour nos bateaux comme pour nous. C’est clairement la transat la plus difficile du circuit IMOCA, si tu ajoutes à ça l’enjeux de la qualification pour le Vendée Globe… Rien de ce qu’on fait n’est raisonnable. C’est un bon moyen de valider la fiabilité de nos bateaux tout en se mesurant aux copains!

C’est aussi une course mythique, prestigieuse, qui revient au calendrier après 8 ans d’absence. En me prénommant Eric, cette Transat m’évoque forcément les victoires d’Eric Tabarly, surtout celle de 1976, l’année de ma naissance ! J’ai forcément en tête sa victoire en 1964, où il parvient à manipuler un spinnaker seul en inventant une chaussette.

Je suis très fier de participer à cette transat cette année, c’est un peu comme si j’entrais dans mes bouquins de gamin. 

 

 Cette course est qualificative pour votre grande échéance 2024 : le Vendée Globe. Le fait de devoir terminer à tout prix une des deux transatlantiques au programme, cruel ou bonne pression ?

C’est une sacrée pression, mais une bonne pression ! L’enjeu 2024 reste le Vendée Globe, notre graal à tous. Sauf qu’on est 44 prétendants pour 40 places, il y a donc un système inédit de qualification. Au classement je suis bien placé, il me suffit de boucler une des transatlantiques (ndlr : The Transat CIC le 28 avril ou la New York-Vendée le 29 mai). Le but est clairement de terminer The Transat dans les temps (ndlr : il faut terminer avec un temps maximum de 50% de celui du premier), je vais naviguer proprement, pas faire l’imbécile. Si pour ça il faut mettre la compétition de côté, je le ferai, mais je le prends aussi comme un sérieux entrainement pour le Vendée Globe. Il va falloir trouver la juste mesure entre vitesse et sécurité. Après je rêve depuis très longtemps d’aller à New York par la mer, en voilier, alors je compte bien aussi savourer chaque moment de cette transatlantique.

 
Vous n’avez pas navigué en solitaire depuis 2 ans, quels automatismes espérez-vous rapidement retrouver ?

Plusieurs sessions d’entrainement sont prévues avant d’attaquer la compétition, y compris en solo. J’espère retrouver rapidement efficacité et bonheur d’être en mer !