EXCLU - Jérémy Stravius : «Les Jeux 2024 ? Je ne dis pas non…»
Alexis Bernard -
Rédacteur en chef
Footballeur presque raté, j’ai choisi le journalisme car c’est l’unique profession qui permet de critiquer ceux qui ont réussi. Après avoir réalisé mon rêve de disputer la Coupe du Monde 2010 (en tribune de presse), je vis de ma passion avec le mercato et les grands événements sportifs comme deuxième famille.

Légende de la natation française, Jérémy Stravius a rejoint le projet des Etoiles 92. Un club fondé sur des fonds privés qui cartonne depuis sa création, en 2020. Le phénomène Léon Marchand, sa vision du modèle sportif français et son possible come-back pour les Jeux 2024… Le champion olympique se jette à l’eau.

Retiré des bassins, on vous retrouve dans l’ambitieux projets des Etoiles 92. Un club novateur qui essaye de bouger les lignes et de proposer un nouveau modèle pour la natation et même le sport français. Comment ?
La vision des Etoiles 92 est la bonne. Elle s’appuie sur l’expérience de sportifs qui ont eu une carrière, qui ont réussi à percer et qui ont parfois vu comment ça se passe à l’étranger. C’est une vision du haut-niveau très moderne, très ouverte. Parce que le problème, en France, c’est qu’une fois que le sportif a le bac, c’est terminé. Il faut choisir entre le sport ou les études, c’est très compliqué de concilier les deux. Si vous n’avez pas complètement percé à 18 ans, terminé, au revoir. Le sport étude, c’est bien, pour le collège et le lycée. Mais ça doit aller au-delà. Certains prennent plus de temps à émerger dans leur discipline et il faut pouvoir accompagner ces profils-là. Et sans aide, je ne vais pas dire que c’est impossible, mais c’est très, très compliqué.
 
Comment expliquer cette léthargie de notre modèle ? Ce n’est pas nouveau, pourquoi ça ne bouge pas ?
Ce qui est surprenant, c’est que le problème ne date pas d’aujourd’hui. On le sait qu’il faut des moyens pour accompagner les sportifs. Et ce fameux modèle américain, qui marche, qui a fait ses preuves et qui a été repris par les Anglais, les Italiens, ces nations qui sont désormais performantes, on le connait. Mais on ne met pas les moyens nécessaires pour l’importer chez nous. En France, on a mis les moyens dans l’INSEP et Font-Romeu et c’est tout. Voilà deux institutions, merci, démerdez-vous (rire). Ça ne marche pas comme ça. Et je tire mon chapeau à tous ces sportifs, à tous ces nageurs, qui concilient études, travail et entraînement. Ce sont des journées de dingue, toute la semaine. Combien de fois j’ai entendu des sportifs me dire : "J’arrête, je ne peux pas continuer. Je n'ai pas d’aide, je n’ai pas les moyens. J’ai le potentiel mais sans aide, je ne peux pas donc stop". Trouver des sponsors, des partenariats, c’est compliqué. Si, en plus, c’est difficile de trouver des universités ou des écoles supérieures sans aménagement de temps pour les sportifs…

« Léon Marchand, j’ai vu son talent très tôt »

Est-ce qu’il y a des initiatives qui marchent, malgré tout ?
Le pack de performance mit en place par la fondation du sport français, qui permet d’aider de nombreux sportifs dans la construction de leur carrière, c’est une bonne chose. C’est efficace, ça marche. Mais il faut redoubler d’effort, ce n’est pas encore suffisant. Nous sommes une grande nation, on se doit d’avoir une grande délégation de sportif, pas uniquement dans la natation. Et ce n’est pas trop tard, même si les Jeux en France sont dans deux ans. On a peut-être loupé une petite génération de nageurs, c’est comme ça. Si on met en place des choses, quoi qu’il arrive, ça aidera. Et puis, la vie sportive ne s’arrêtera pas en 2024 ! En tout cas, je l’espère… Il faut penser à 2028 et la suite !
 
Les Jeux 2024, parlons-en. Selon nos informations, il n’est pas impossible de vous voir prendre le départ d’une épreuve. Vous confirmez ?
Les Jeux 2024, pour moi ? Il ne faut jamais dire jamais. Je ne ferme pas de porte. Je verrai bien… Je ne dis pas oui. Mais je ne dis pas non, non plus. C’est encore un peu tôt pour répondre, pour décider. Disons que j’ai encore deux ans, à peu de chose près. Je me laisse encore du temps pour choisir. Mais je commence à me dire pourquoi pas…

Des Jeux qui pourraient être ceux du nouveau phénomène de la natation française, Léon Marchand. Vous l’avez vu venir cet OVNI des bassins ?
J’avais vu son talent, très tôt, oui. C’était une évidence. Il faisait partie des deux ou trois nageurs de sa génération à pouvoir se démarquer et sur qui on se disait, oui, il y a un vrai potentiel. Mais entre avoir les capacités et que cela se traduise en performance… Clairement, son ascension est énorme. Même avant de partir aux États-Unis, il réussissait à faire des choses incroyables. Et je pense qu’il a trouvé aux US une façon de travailler qui lui convient parfaitement. Je suis très content pour lui, sincèrement. Et en plus, je lui dois une bière puisqu’il a battu mon record de France sur le 200 m 4 Nages… J’en parlais déjà depuis un moment avec des partenaires. Je disais « Attention à lui… Je mets une pièce sur lui ». C’était à l’époque des qualifs aux Jeux, ça remonte déjà. Mais bon,Léon, je l’attends encore sur les records en petit bassin. Il m’en reste encore (rire).
 
Est-ce qu’il peut devenir le nouveau Michael Phelps ?
Le nouveau Phelps ? Je pense qu’on ne retrouvera jamais un nouveau Phelps. La natation a évolué ces dernières années, ce n’est plus la même époque. Aujourd’hui, tout est différent. On se spécialise sur une ou deux épreuves, plus, c’est compliqué. C’est très rare de trouver des nageurs avec de la polyvalence. Et honnêtement, je trouve qu’il a eu du culot, et du courage, de s’aligner sur autant d’épreuves aux derniers mondiaux. Ce n’est que le début de sa carrière. Et c’est dingue à dire mais je trouve qu’il a encore des progrès à faire… On ne sait pas encore de quoi il est vraiment capable. C’est génial. Pour la natation française, et pour la natation en général, c’est exceptionnel d’avoir un Léon Marchand.

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