France 2023 : La Coupe du monde de l’anti-jeu !
Romain Amalric -
Journaliste
Journaliste depuis 20 ans, je suis homme de terrain de Canal+ sur le Top 14 et la ProD2 et correspondant pour Radio France

ÉDITO - Ce Mondial 2023 aura été passionnant et rempli d’émotions diverses. Mais il aura aussi fait couler beaucoup d’encre, alimenté de nombreux débats, et mis en lumière plusieurs problématiques. Notamment sur l’arbitrage et sur le jeu. Le rugby a encore beaucoup de travail.

Tout y était, ou presque. Le succès populaire, l’ambiance des stades, le mélange, la ferveur, le suspens des matchs, les essais magnifiques, les petites surprises et le sacre d’un grand champion. Les ingrédients d’une Coupe du monde réussie. Et sur bien des aspects, cette édition 2023 en France, notamment par son organisation sans trop de failles, ses records, et le sacre suprême et symbolique de l’équipe de Siya Kolisi, laissera dans les mémoires un souvenir plutôt bon. Pour le clin d’œil, on retiendra que ce Mondial a débuté sous le soleil caniculaire de septembre et s’est terminé sous la pluie automnale de fin octobre, avec le sacre de la nation arc-en-ciel. Tout un symbole. Mais il demeure trop de choses amères, bien au-delà du succès ou non des Bleus, pour que les amateurs de rugby considèrent cette Coupe du monde comme parfaite.

Autant recruter les futurs joueurs directement dans les salles de MMA

Au soir de la finale, les grands esthètes du rugby moderne ont dû grincer des dents en voyant que la couronne mondiale était restée sur la tête de l’équipe qui a fait le moins de passe, et qui se complait dans un jeu de dépossession qu’on pensait pourtant « out of mode ». Non pas que l’Afrique du sud ne mérite pas son quatrième titre, mais est-elle pour autant la plus belle équipe du monde ? L’efficacité s’oppose ici à l’esthétisme. Au rugby, donc, pour gagner, il ne faut pas jouer. C’est la leçon du moment. Espérons pourtant qu’elle ne traduit pas une tendance pour l’avenir. Personne ne souhaite que les rencontres de Champions Cup ou de Top 14 deviennent des affrontements de rugby minimaliste durant lesquels il suffira de taper des chandelles et réussir les pénalités. Pas sûr non plus que les écoles de rugby fassent le plein de gamins s’il n’y a plus la notion de courses et de passes. Sinon, autant recruter les futurs joueurs directement dans les salles de MMA. Cette Afrique du sud là, que Rassie Erasmus a transformé en une machine stratégique, opportuniste, et peuplée de chiens fous affamés, ne peut en aucun cas servir de modèle pour le rugby de demain. Un sport de combat, certes, mais dont il est aussi question de mobilité et d’évitement. En France, ce n’est pas le rugby qu’on aime. C’est une question de culture. Chez les Springboks, les modèles se nomment Etzebeth ou Du Toit. En France, on évoque encore le temps des Boni, les courses de Charvet ou le jeu à la toulousaine. Est-ce encore le même sport ?

L’homme au centre du terrain interprète plus qu’il n’arbitre

Vient alors la question de l’arbitrage. D’abord parce que sur cette Coupe du monde, la majorité des décisions ont clairement avantagé les défenses au détriment des attaques. Les phases de ruck ont constamment été ralenti sans sanction, les actes d’anti-jeu largement toléré, les grattages illicites accordés, et donc l’avantage à l’attaque totalement oublié. En résumé on appelle ça un arbitrage « permissif ». Et certains diront qu’il est différent si l’arbitre est originaire de l’hémisphère sud ou de l’hémisphère nord. Mais c’est aussi dans l’incohérence des décisions que le débat fait le plus de vagues. Carton jaune ou carton rouge, on n’arrive plus vraiment à comprendre. Dans le bunker de Rolland Garros, les critères de degrés de sanctions ont paru bien obscur. Et derrière leurs écrans, dans leur camion, à côté du stade, les arbitres vidéo se sont par moment endormis, oubliant des fautes grossières qui auraient pu changer le cours d’un match. Ce fut notamment le cas lors du quart de finale entre la France et l’Afrique du Sud, mais pas seulement. La faute aussi peut-être à World Rugby, responsable des arbitres et de la diffusion des matches. A trop vouloir rendre le spectacle plus accessible au grand public avec moins de gros plans et moins d'appels à la vidéo, le produit semblait parfois bien différent de celui que les téléspectateurs français ont l'habitude de voir chaque week-end en Top 14 avec Canal+. Cette idée de bunker par exemple, est-ce vraiment une bonne idée ? En voulant présenter les matchs de rugby à sa façon, la fédération internationale a peut-être aussi contribuer au mauvais arbitrage. Une balle dans le pied pour un sport qui est déjà bien compliqué à arbitrer et dont les règles évoluent régulièrement. Aujourd’hui, l’homme au centre du terrain interprète plus qu’il n’arbitre. Et à ce rythme, les matches de rugby vont être très difficiles à suivre, à commenter et à analyser. Même pour les acteurs. Il est donc grand temps de refaire quelques réunions au sein du collège des sages de la fédération internationale, et de repenser à quoi devrait ressembler le rugby de demain. Et y écrire des règles en conséquence, qui seraient appliquées de la même façon, du pôle Sud ou pôle Nord.

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