Equipe de France : «On a vécu un rêve de gosse…»
Alexis Bernard -
Rédacteur en chef
Footballeur presque raté, j’ai choisi le journalisme car c’est l’unique profession qui permet de critiquer ceux qui ont réussi. Après avoir réalisé mon rêve de disputer la Coupe du Monde 2010 (en tribune de presse), je vis de ma passion avec le mercato et les grands événements sportifs comme deuxième famille.

Théo Schuster et Emmanuel Le Ber sont les réalisateurs qui ont eu le privilège de suivre l’équipe de France durant la Coupe du Monde en Russie. Du bureau de Didier Deschamps en mars dernier jusqu’à la finale du 15 juillet, ils racontent les coulisses de leur film exceptionnel, « L’épopée russe », qui sort en DVD et Blu-ray le 4 septembre.

Mars 2018 : Dans le bureau de Deschamps...

Impossible d’imaginer ce documentaire sur le parcours des Bleus en Russie sans l’accord du grand patron, Didier Deschamps. « On a passé 2h30 dans son bureau, début mars, raconte Théo Schuster. C’est LE gros rendez-vous, celui qui change tout puisque c’est là où il nous donne le premier feu vert pour le film. Et dès ce premier rendez-vous, il pose une condition : pas de film si pas de finale. Si la France ne va pas en finale, même si on a tourné, etc, il n’y a plus de film ». « Il a été un peu « choqué » par l’Euro, par la déception de la défaite et la tournure des événements, poursuit Emmanuel Le Ber. Et peut-être que les choses n’avaient pas été assez claires en 2016. Là, il a fixé ses conditions. Il y a même un papier qui existe, sur lequel tout est écrit, les conditions de notre tournage. Les moments où on pouvait filmer, à un, à deux ou pas du tout. Après, la relation s’est construite et c’était aussi à nous de ressentir quand nous pouvions filmer ou pas. Au besoin, Didier nous faisait un petit geste de la main quand il ne voulait pas que l’on filme, c’était simple et fluide ».

Le personnage Deschamps

Père fondateur de cette équipe de France, Didier Deschamps est un personnage central de « L’épopée russe ». Réputé pour son caractère, sa détermination et la difficulté de pouvoir accéder à lui, le patron des Bleus s’est révélé bien plus humain devant leurs caméras. Emmanuel Le Ber : « L’image que les gens ont de Didier Deschamps est un peu erronée. Ce n’est pas du tout quelqu’un difficile d’accès. C’est quelqu’un de prudent mais qui manie aussi très bien le bâton, pour taquiner et chambrer quand il le faut ou pour taper, quand il le faut aussi ». « Quand on est à son poste, on a aussi le droit d’être un peu « parano », analyse Théo Schuster. Tout simplement parce que n’importe quoi, le moindre petit détail, peut faire dérailler la machine. Il ne laisse absolument rien au hasard. Mais on ne peut pas dire qu’il est difficile d’accès en relation humaine. Pour notre première interview avec lui, ça fait une semaine qu’on est à Clairefontaine. On va dans la chambre de Varane parce qu’il n’est pas encore arrivé. On filme pendant 20 minutes, très simplement. On coupe et là on se met à parler pendant plus d’une demi-heure… De tout. Et on découvre le vrai Didier Deschamps. Sans lui… » La France n’aurait jamais été championne du monde. Deux fois…

Sous haute pression !

La condition d’une présence en finale pour pouvoir diffuser le film a plongé les réalisateurs dans un stress de tous les instants. A chaque match, notamment après les phases de poule, tout pouvait s’effondrer. « Didier nous a même dit, avant la demi-finale, qu’il fallait encore que l’on passe sinon… », se souvient Théo Schuster. Mais malgré la pression sur leurs épaules, le tournage a été d’une grande simplicité. Emmanuel Le Ber : « On n’a pas rencontré de grandes difficultés. Ce film, on l’avait écrit avec une trame, des personnages. On savait que Didier Deschamps serait l’un des principaux et il l’a été. Et on a simplement laissé les choses se faire… Alors oui, on a tremblé, à chaque match. Car si on se faisait éliminer, c’était terminé, le film ne sortait pas. Mais le reste s’est déroulé avec une étonnante fluidité ». Une montée en puissance, sur le terrain comme en dehors, avec la naissance d’un groupe qui peut soulever des montagnes.

Le mythique "Les Yeux dans les Bleus"

Pour les amoureux de France 1998, impossible de ne pas penser au documentaire de Stéphane Meunier, « Les Yeux dans les Bleus ». Mais pour les réalisateurs, la comparaison n’existe pas : « Ce n’était pas du tout l’une de nos problématiques, confesse Théo Schuster. Parce qu’aujourd’hui, personne ne peut faire mieux que les Yeux dans les Bleus. On ne boxe pas dans la même catégorie, tout simplement parce qu’on n’a pas le facteur nouveauté. C’est ce qui a aussi fait le succès des « Yeux dans les Bleus ». Faire quelque chose qui n’a jamais été fait, en plus d’être Champion du Monde, ce qui n’avait jamais été fait non plus (rire). La preuve de ce que je dis c’est que depuis les Yeux dans les Bleus, il y a eu des documentaires, sur 2000, 2002, 2006. Avec toujours Stéphane Meunier derrière la caméra. Mais celui dont tout le monde parle et se souvient, c’est celui de 1998. Parce que c’était le premier et le plus fort, parce qu’il y a la victoire au bout ».

Nouvelle génération, nouveaux réseaux sociaux

Depuis la Coupe du Monde 2014, notamment, l’avènement et la place des réseaux sociaux a totalement changé la donne. L’hyper communication permet d’avoir accès à des images inédites, inside, en permanence. « C’était une vraie et grande problématique, confesse Théo Schuster. Très souvent, on savait que l’on filmait quelque chose de fort mais en ayant en tête que ça pouvait être publié sur les réseaux sociaux par un des joueurs et que ce soit déjà vu de tout le monde ». « Mais c’était aussi ça le défi, faire un film avec son époque, poursuit Emmanuel Le Ber. C’était un vrai enjeu, aussi, de faire découvrir des gens que tout le monde connaît parce qu’ils sont sur les réseaux sociaux et s’exposent beaucoup. Montrer qui ils sont vraiment, dans la réalité ».

Champion du Monde aussi ?

En vivant au plus près de cette équipe de France, pendant près de deux mois, le sentiment d’être champion du monde est naturel. Encore plus quand on passe 50 jours, au quotidien, aux côtés de cette équipe de France. « Théo avait un peu plus de facilité que moi à aller avec eux, parce qu’il connait bien le foot et les joueurs, sans qu’il y ait du copinage. J’avais un peu plus de recul, de distance. Au final, ce ne sont pas devenus des potes, mais on a effectivement le sentiment d’avoir vécu cela avec eux, au plus près d’eux et c’est assez unique. Quelque part, on a vécu un rêve de gosse, il ne faut pas le cacher »

Théo Schuster, qui a vécu le Mondial jusqu’à la victoire finale, dans le vestiaire des joueurs, témoigne : « Au moment de la finale, quand je suis dans le vestiaire et que je vois la Coupe du Monde à quelques centimètres de moi, oui, j’avoue, j’ai eu l’impression de l’avoir gagner avec eux. Et quand tu te retrouves avec le trophée dans les bras… Mais même avant la finale, la victoire, on prend conscience de la chance que l’on a. Je me souviens d’être assis dans le bus, à côté de Florian Thauvin, en route pour la demi-finale. A un moment, on se regarde et on se dit ‘Ouais, là on va disputer une demi-finale de Coupe du Monde…’ Pour eux, comme pour nous, c’était incroyable».

Des personnages et des surprises

Même s’ils avaient écrit leur film sur un projet tenant sur 5 pages, Théo Schuster et Emmanuel Le Bert ont laissé les 23 Bleus et leur staff construire l’incroyable histoire de cette « épopée russe ». Avec des belles surprises pour chacun d’entre eux : « C’est assez basique ce que je vais dire mais je le pense vraiment et c’est ce qui m’a le plus surpris, c’est de découvrir leur simplicité et leur capacité à travailler, confesse Emmanuel Le Ber. De voir leur jeunesse mais aussi leur détermination à un âge où c’est rare d’en avoir autant pour l’atteinte d’un objectif. De voir ce grand patron qu’est Didier Deschamps. Ils ont été, tous, impressionnants »Théo Schuster : « Le plus impressionnant, c’est de voir comment la dynamique se met en place. Du match amical contre les États-Unis où je me dis ‘C’est mort, ils ne vont pas aller très loin’. Mais vraiment, jamais je n’aurai imaginé qu’ils puissent être champion du monde à ce moment-là. Et puis, petit à petit, la machine démarre et se met en place. Et là… C’est magique. Et puis il y a aussi des belles surprises pour moi. Un garçon comme Blaise Matuidi, que je ne connaissais pas, a été une révélation. Parce que c’est un mec extraordinaire. J’avais un a priori un peu négatif sur Nabil Fékir et c’est aussi un super mec. C’est le privilège de pouvoir côtoyer des gens au quotidien et d’avoir le temps de les découvrir… »

"L'épopée russe", un film de Théo Schuster et Emmanuel Le Ber, est disponible en Blu-ray et DVD à partir du 4 septembre.