Chouchou du public français, Thomas Voeckler se rapproche de son meilleur niveau actuellement. Un mois et demi avant le Tour de France, en exclusivité pour Le 10 Sport, le coureur d’Europcar balaie sa carrière.
Selon vous, quel coureur français a le plus gros potentiel ?
C’est difficile de sortir un nom, il y en a plein. Si on parle de la catégorie des grimpeurs, je dirais bien Pierre Rolland mais chez les très jeunes, je dirais Thibaut Pinot et Romain Bardet. Et après chez les sprinteurs, entre Bouhanni, Démare et Coquard, on a le très haut niveau.
Vous pensez qu’un Français va être en mesure de gagner le Tour de France prochainement ?
Espérons, espérons ! Mais je pense oui. Un de cette jeune génération en sera capable.
Et cette année, quel est pour vous le favori du Tour ?
Franchement, je ne vais pas être original mais c’est celui auquel tout le monde pense : Chris Froome. On a beau dire qu’il va moins bien depuis le début d’année, ce sera l’homme à battre. Et à part un accident, je le vois vainqueur. Contador j’apprécie son tempérament, mais sincèrement Froome a de la marge. Je suis épaté par son professionnalisme. Après Nibali me plaît davantage en termes de comportement parce que c’est un attaquant, quelqu’un qui a du panache.
On vous parle toujours de ce fameux Tour de France 2004 où vous avez porté pendant dix jours le maillot jaune ?
Tout le temps. C’est un peu fatigant mais maintenant j’esquive un peu, je réponds avec une formule de politesse. On m’en parle peut-être encore plus maintenant. Pour 90% de la population, c’est-à-dire le public du Tour, je suis assimilé au Tour de France. Mais les suiveurs du vélo savent qu’il n’y a pas que le Tour de France pour moi, que j’ai gagné le Grand-Prix de Québec, Plouay, les championnats de France... Le public du Tour, lui, ne sait même pas ce que c’est. Mais c’est ce qui fait la grandeur du Tour et qui a contribué à faire la mienne aussi. Parfois ça peut-être agaçant d’être toujours assimilé au Tour mais je ne veux pas cracher dans la soupe. Ça a été un accélérateur de carrière, ça m’a apporté une notoriété que je n’aurais jamais pu avoir en gagnant les courses que j’ai gagnées par la suite et ça m’a permis d’avoir des retombées financières aussi.
Vous avez conscience d’avoir redonné le sourire aux gens ?
Pas dès 2004 mais par la suite oui. J’ai compris que j’étais le petit Français qui luttait contre les Américains. Et un jour après le Tour de France 2011, Christian Prudhomme m’a dédicacé le livre qui résumait le Tour et a écrit : « Pour toi Thomas qui en un été a réconcilié les Français avec le Tour » La plus grosse audience télé avait été réalisée le jour de l’étape du plateau de Beille. Donc venant de lui, je me suis dit que j’avais fait quelque chose de pas trop mal. Il y a même des gens qui me remercient ou qui me disent qu’ils ont pleuré devant la télé et ça peut être gênant. J’ai l’impression de ne faire que mon travail mais par la suite on comprend que c’est parce que ça leur a procuré du plaisir et que parmi ces gens-là, dans la vie de tous les jours, ce n’est pas forcément toujours rose. Donc c’est aussi une fierté.
Qu’est-ce que ça fait d’être le cycliste le plus populaire de France ?
Ça a évolué au fil de ma carrière mais c’est pesant par moments. En 2004, je ne vais pas dire que j’ai pris la grosse tête, mais j’ai un peu perdu mes repères et honnêtement avec le recul, je me suis peut-être un peu pris pour un autre. Mais ce n’est que le travail. Il faut en profiter mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus important dans la vie. Je suis populaire, je ne cherche pas forcément à l’être, parfois ça l’est même peut-être trop même si c’est quelque fois appréciable. Mais on n’appréhende pas du tout la popularité de la même manière quand on a 24 ans ou plus de 30 avec deux enfants. Même si ça me fait plaisir qu’on me félicité pour les victoires ou autre chose, mon vrai bonheur c’est avec mes deux enfants et ma femme quand on va faire une petite ballade à vélo et prendre un petit goûter.
C’est cette popularité qui fait que vous n’êtes pas trop aimé dans le peloton ?
Je pense qu’à l’origine de ça, c’est qu’après 2004 et même avant je n’avais pas tant de résultats que ça mais qu’en termes de notoriété j’en avais plus qu’un gars qui avait gagné beaucoup plus que moi. En plus à l’époque, les sollicitations médiatiques me plaisaient bien, parce que quand on n’a jamais été connu ça fait plaisir. Maintenant ça fait partie de mon job et je ne prends pas forcément de plaisir à répondre aux télés, aux radios... Ça fait partie du métier, je suis aussi payé pour ça. Mais je pense qu’à l’époque cette popularité pouvait susciter de la jalousie et peut-être encore maintenant par rapport aux résultats. Mais c’est quelque chose dont je me fiche complètement. Ça a pu parfois me pénaliser dan les courses et ce n’est pas de la paranoïa puisque d’autres coureurs français dans les équipes étrangères me l’ont confirmé, mais vraiment j’en n’ai rien à foutre. Je ne sais pas s’ils voulaient ma peau mais en tout cas je ne suis pas bête, je vois bien ce qu’il se passe. Mais ça ne m’empêche pas d’avancer.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du cyclisme ?
Je ne veux pas passer pour un vieux con mais pour moi ça manque de romantisme, de charme. C’est hyper professionnel, ça c’est très bien, la mondialisation on ne peut pas aller contre et je pense que c’est une bonne chose mais ça manque un peu de charme. C’est trop contrôlé, ça manque de prise de risques. Un coureur comme Nibali par exemple a encore un peu de panache et n’hésite pas à attaquer quitte à perdre. Il y en a qui sont plus calculateurs parce qu’ils ont les effectif et les moyens pour le faire et en l’occurrence ils ont raison puisqu’en règle générale ce sont eux qui gagnent. Mais je ne suis pas persuadé que d’ici quelques années ça n’aura pas la même saveur dans les livres d’Histoire du vélo par rapport à ce qu’on voyait il y a encore 10 ans ou 15 ans. Après je ne suis peut-être pas très objectif parce que j’ai toujours été adepte du panache.
Vous pensez que si vous étiez arrivé à une autre époque, votre palmarès serait bien plus étoffé ?
Oui mais ça ne m’empêche de vivre parce que si ça m’empêche de vivre ça veut dire qu’il y en a qui nous ont pris pour des cons et qui nous ont volé des victoires et si en plus on n’y pense trop, ils nous foutent en l’air notre plaisir. Le vélo on sait que pendant très longtemps ça n’a pas été tout rose. Ce n’est sans doute encore pas tout rose mais ça va de mieux en mieux. La lutte contre le dopage a vraiment avancé. Mais c’est vrai que pendant des années on le savait. Alors ou on le sait et on continue son bout de chemin avec ses propres idées en se disant que ce ne sont pas les tricheurs qui vont nous empêcher de vivre notre passion ou on baisse les bras. Et je n’ose pas parler de l’option « on tombe dedans » et on fait comme les autres parce que dans les structures où j’ai évolué ça n’a jamais été envisageable ou envisagé ne serait-ce qu’un millième de seconde. Mais c’est clair que la génération qui arrive maintenant, qui est déjà plus talentueuse que la nôtre, arrive dans une meilleure période.
Vos victoires n’ont-elles finalement pas plus de saveur ?
Pas forcément parce que je ne pense pas à ça. Ça voudrait dire que c’est une revanche et moi quand je gagne c’est plus personnel.