Isabelle Bernard : «Le football féminin est en état d'urgence»
Alexis Bernard -
Rédacteur en chef
Footballeur presque raté, j’ai choisi le journalisme car c’est l’unique profession qui permet de critiquer ceux qui ont réussi. Après avoir réalisé mon rêve de disputer la Coupe du Monde 2010 (en tribune de presse), je vis de ma passion avec le mercato et les grands événements sportifs comme deuxième famille.

Fondatrice du premier groupe de supporters de football féminin (OL ANG’ELLES) et dirigeante de l’Olympique Lyonnais Féminin, Isabelle Bernard se préocuppe de l’évolution de la discipline en France. Elle nous explique pourquoi.

En créant le premier groupe de supporters d'un club de football féminin, OL ANG’ELLES, vous vous attendiez à ce que votre parcours soit semé d'embûches? Lorsqu'on lance une activité qui n'existe pas, c'est sûr que le chemin est semé d'embûches mais les obstacles ne sont pas faits pour m'arrêter, l'essentiel est de les surmonter. C'est même plus gratifiant quand on arrive à atteindre l'objectif. Malgré le gros travail que représente le lancement d'une association à partir de rien, je ne regrette pas du tout l'aventure. La création de ce groupe de supporters correspondait à un vrai besoin, tant au niveau des personnes intéressées par l'OL Féminin que par les joueuses elles-mêmes qui évoluaient dans des stades silencieux sans aucune ambiance. Pouvez-vous définir votre rôle et votre action aujourd'hui ? Je suis à la fois responsable des relations publiques de la section féminine et administratrice de l'association OL dont dépend cette section. Parallèlement, en tant que présidente du groupe de supporters OL ANG'ELLES, j'essaie d'apporter une dynamique et de fidéliser les spectateurs. Le football féminin est encore très confidentiel et nous apportons beaucoup d'informations fiables sur l'équipe et les joueuses ainsi que sur les lieux des matchs, leurs horaires, la façon de se rendre dans les stades et nous proposons des offres clé en main pour les déplacements afin de s'assurer de la présence des membres du groupe à tous les matchs, que ce soit en France comme en Europe. En parallèle, je dois palier aux manques lorsqu'ils apparaissent, que ce soit dans l'organisation comme dans les relations entre les membres ou dans notre communication. Je reste donc très vigilante et attentive aux détails. La section féminine de l'Olympique Lyonnais est maintenant structurée et nous ne sommes plus dans des espaces publics mais dans des lieux privés, donc les relations avec les collectivités locales se passent au niveau des services centraux. Les services généraux ont peu à peu intégré tout notre administratif, les équipes médicale et sportive sont en place avec des techniciens compétents, les joueuses sont au top niveau, les conditions d'entraînement sont idéales. Il nous reste à remplir les stades et à médiatiser notre équipe.

« Il y a deux fois moins d'entraînements ouverts pour les filles que pour les garçons »

Est-ce facile, aujourd'hui, d'assouvir sa passion quand on aime le football féminin ? Dans les médias, dans l'accès aux informations comme au match, ce n'est pas toujours évident d'avoir autant de matière et de facilité que chez les garçons ? C'est très compliqué d'assouvir sa passion, principalement parce que les filles ne sont pas encore considérées à leur juste valeur dans ce milieu très machiste du football donc les informations ne sont pas données ou alors trop tard ou bien elles sont fausses ou incertaines. A l'OL, les choses sont différentes et il nous reste à trouver l'osmose entre la section féminine et les supporters. Ils doivent être respectés comme le club le fait pour ceux des équipes masculines, ils doivent avoir accès aux entraînements de la même façon, pouvoir animer les matchs dans les mêmes conditions et pouvoir échanger au moins une fois par an le staff. Comme tout est nouveau dans le foot féminin il faut à chaque fois ouvrir le passage mais on va y arriver. Dernièrement, il a été interdit aux supporters de l'OL Féminin de faire trop de bruit pendant les rencontres. On pourrait croire que c'est une plaisanterie mais non ! Expliquez-nous cela ? Si l'OL a des problèmes de voisinage, il faut suivre les consignes données par le club et lui faire confiance pour les régler mais il faut comprendre que tout cela se passe dans un petit stade où tout le monde est à côté. Avec l'interdiction de faire du bruit, les supporters se sont sentis méprisés car personne n'est venu les voir. Jusqu'à la saison passée nous avions un président de section féminine qui connaissait très bien les spécificités du football féminin, notamment le profil des supporters et leurs attentes et qui créait un lien mais il a arrêté, il est maintenant président d'honneur. Le président Aulas ne l'a pas remplacé, il a nommé un président délégué issu du football masculin qui arrive avec ses références et qui doit prendre ses marques dans un contexte totalement différent. Pour l'instant, les supporters se sentent délaissés car ils n'ont aucun échange avec lui ni avec le staff. Ça avancera il est le délégué du président AULAS qui a un contact formidable avec tous ceux qui viennent au stade et je me bats pour que l'osmose se crée, je suis une femme de dialogue et il faut retrouver le dialogue pour éviter ces blocages.

« Jean-Michel Aulas est un dirigeant exceptionnel qui avance avec son cerveau autant qu'avec son cœur »

L'investissement de Jean-Michel Aulas dans le football féminin est total. Vous le côtoyez depuis des années, vous confirmez qu'il s'agit d'un très grand dirigeant, dans le monde de l'entreprise comme dans le football ? C'est un dirigeant exceptionnel qui avance avec son cerveau autant qu'avec son cœur. C'est à la fois un visionnaire qui est parfois le seul à trouver le chemin pour entraîner son club, qui sait dynamiser de façon incroyable ses collaborateurs, et en même temps il a un amour fou pour son club et c'est un vrai passionné de football qui est toujours heureux du bonheur qu'il apporte. C'est un homme que j'admire et je le respecte profondément Quelles "armes" pourraient-on donner, aujourd'hui, aux fans de football féminin pour qu'ils puissent grandir et se développer ? Il faut les laisser vivre et les respecter. Techniquement, le football féminin est totalement identique au football masculin mais il se joue dans des stades plus petits, devant un public très familial à moitié féminin et à moitié masculin, dans une ambiance joyeuse et bon enfant, avec des footballeuses qui ont des préoccupations assez similaires aux personnes qui viennent les voir car elles ont des salaires qui correspondent à ce qui existe ailleurs. C'est donc un monde totalement différent qu'il faut considérer comme tel. L'erreur en ce moment, c'est que le foot féminin se développe donc on a besoin de compétences et on va les chercher chez des personnes issues du foot masculin. Ils apportent leur savoir et c'est bien mais ils cherchent à calquer leurs codes et c'est un tort. Si on continue comme ça on videra les stades car il n'y aura aucun intérêt à venir dans des stades peu garnis si l'offre est la même. Au contraire, il faut s'appuyer sur les spécificités du foot féminin et de son public pour proposer autre chose et attirer des gens qui ne viennent pas aux matchs des garçons pour différentes raisons mais qui viennent aux matchs féminins car ils aiment le beau football dans une ambiance fair-play. Croyez-vous que la France puisse avoir un vrai déclic pour permettre au football féminin de prendre toute la place qu'il mérite ? Ça n'en prend malheureusement pas le chemin. A l'OL, nous avons été obligés d'avoir des résultats extra-ordinaires pour que les médias et les amateurs de football finissent par accepter l'idée que le football féminin est technique et agréable à regarder. Cela nous a attiré du public et des sponsors. Pour qu'il y ait un déclic en France il faut que l'équipe de France ait ces qualités mais la sélectionneuse fait des choix personnels qui n'ont rien à voir avec les qualités techniques des joueuses car elle a tout son temps pour faire des essais vu que nous n'avons pas de sélection pour la prochaine Coupe du Monde qui se déroulera en France. A-t-elle raison ? Je ne peux pas répondre car je ne suis pas à son poste. En revanche je ne la vois jamais sourire et bien souvent sur la défensive dans les interviews. Elle ne me donne pas l'image de quelqu'un qui a envie de faire rêver le public et je ne sais vraiment pas s'il se déplacera en masse pour voir évoluer son équipe surtout qu'en ce moment nous voyons des matchs d'un ennui total à la télé et que l'équipe de France perd ou fait match nul devant des équipes plus faibles au classement. Il devient urgent d'inverser la tendance car la Coupe du Monde démarre dans un peu plus d'un an, soit ça passe soit ça casse.