Les Bleus sont tombes sur la tete
La rédaction

Planqués dans le luxueux Pezula Resort, les Bleus sont à l'abri de tous les regards. Un isolement qui ne leur permet pas de découvrir l'Afrique du Sud. Pays du barbelé et des barbecues?

Alexis Bernard, envoyé spécial à Knysna (Afrique du Sud)

 Attention aux langues qui fourchent, on étire bien grand les lèvres - dyslexiques s'abstenir - et on se lance: Knysna. Traduction ? Aucune. Simplement, le nom de la ville qui à « l'immense privilège » d'accueillir l'équipe de France, et accessoirement celle du Danemark, pendant la Coupe du monde. Un paradis sud-africain, s'il en est. Et il en est un ! Planquée derrière les Monts Outeniqua, la baie de Knysna a des allures saisissantes de Côte d'Azur. A quelques détails près...

Un bureau ovale pour la maison «blanche»

 Ici, le pompiste campe au milieu de la route et agite un drapeau à damier pour que les jauges viennent se refaire une santé chez lui. Ici, les barbecues fument toute la journée le long de la lagune, musique à fond, crachée par de clinquantes cylindrées. Ici, lorsque les Springboks jouent contre le Pays de Galles, et que dans le même temps, les Bafana Bafana affrontent le Danemark, les bars sont séparés en deux. Sur l'écran géant dernier cri, une foule de blancs encouragent bruyamment l'équipe nationale de rugby. Sur la petite télévision, deux noirs serrent les poings, en silence, pour supporter les footballeurs sud-africains. Surréaliste. Ici, au royaume du barbelé, chaque bâtiment est cerné d'un dispositif électrifié avec la mention « ARMED RESPONSE ». « L'Afrique du Sud, c'est mortel. Malheureusement, dans les deux sens du terme, résume un guide français, au pays de Mandela depuis une dizaine d'années. Knysna est l'un des endroits les plus appréciés du pays. L'équipe de France va être bien ici. »

Ici, pas vraiment. Plutôt là-bas, sur les hauteurs de Pezula, où les Bleus ont pris leur quartier depuis maintenant une semaine. Un endroit que les journalistes français ont vite rebaptisé « Fort Knox ». Les similitudes avec le célèbre camp militaire américain sont étonnantes... Pour rejoindre le terrain d'entraînement des Bleus, le « Field of Dreams » - le « terrain des rêves », rien que ça - , quatre postes de police font barrière. Dans tous les recoins, des hommes armés patrouillent en permanence. Au-dessus de leur tête, des caméras de surveillance scrutent les moindres mouvements. Juste au cas où des audacieux auraient bravé les grilles électrifiées...

«En haut avec les Dieux » 

Coupés du monde, les Bleus vivent et s’entraînent dans une bulle. Un nid ouaté de confort: le Pezula Resort. « L'hôtel a été classé plus bel endroit de la planète en 2008 », explique Lindsey Orell, une responsable. Un luxueux complexe - le plus cher des établissements proposés par la FIFA - qui a, on l’a vu, fait couler beaucoup d'encre, et même la salive de Rama Yade. « Je n'aurais pas choisi cet hôtel personnellement, a expliqué la secrétaire d'État aux Sports. J'avais appelé les instances du football à la décence. En temps de crise, il faut y penser. » Il faut surtout voir les townships et ces amas de taules jonchés à quelques centaines de mètres du centre d'entraînement des Bleus. Une misère que les joueurs ne verront pas. Et des miséreux qui n'auront pas, non plus, le droit de voir les stars françaises. Car tous les entraînements sont fermés au public. Le « terrain des rêves », construit sur une ancienne parcelle de criquet, n'est pas prévu pour accueillir des spectateurs. Ce n'est pas pour déranger Raymond Domenech, qui jubile intérieurement de tout ce cirque autour du séjour de l'équipe de France.

A Pezula, il peut préparer sa der en Bleu tranquillement, à l'abri des médisances. Et Raymond sera tout heureux de savoir qu'en sud’af', Pezula veut dire : « En haut avec les Dieux ». Pour l’ego, c'est toujours bon à prendre. Pour l'heure, il a choisi pour ses Tricolores l'apartheid: le « vivre à part ». Ou quand la logique sportive dénigre, sans complexe, un pays chargé d'histoire.